Ciné-debat du 28 janvier 2009 sur la souffrance au travail : notes sur la soirée

, par attac92clamart




Notes sur le ciné-débat du 28 janvier 2009
projection du film « J’ai TrèS mal au travail » de Jean-Michel Carré
débattant :  Nicolas Sandret, médecin-inspecteur du travail et
Jean-François Maurier, metteur en scène de « Rêve Général » et patron du Crik.

Notes sur les dialogues du film (de manière à être lisible) et sur le débat qui suivit la projection du film.


Au début du film, une sociologue rappelle les origines du mot « travail » : tripalium, faire souffrir.

Le principe de l’organisation du travail contemporain est de donner envie de croire à la technique de management pour arriver à l’auto-asservissement. Ces techniques produisent une déshumanisation, à laquelle l’entreprise va substituer son identité, l’identité de l’entreprise. Mais elle ne pallie pas suffisament à la perte d’identité collective. Cette identité de l’entreprise se crée lors de séminaires (de mobilisation, motivation) lors de week-end au ski ou sur une plage (où les niveaux hiérarchiques sont brouillés, mais où chacun doit faire au delà de son possible pour atteindre les objectifs (du jeu) ). Pendant des horaires considérés de travail, on peut skier, ou se prélasser sur la plage ou jouer au beach-volley, en contrepartie de séminaires intenses de réflexion sur les moyens de remplir les objectifs (économiques) de l’entreprise.
C’est la justification, démonstration, a posteriori, des méthodes : c’était bien cela qu’il fallait, nous avons bien fait de faire ces efforts, ne sachant pas à ce moment-là (car hors de l’expérience déjà menée) à quoi cela conduirait : un trajet en aveugle.

Dans les nouvelles formes d’organisation du travail, l’arrivée de l’informatique a été le plus grand pilier ; soutenu par la technique de la qualité totale, qui individualise les taches. Elle amène chacun à s’assigner ses propres objectifs, au delà de ce qui peut être atteint, ce qui produit une triche, qui ne sera constatée qu’après quelques années (quand on pourra comparer les chiffres avec la réalité qu’ils sont sensés objectiver) , ainsi que des augmentations de cadence et de productivité (à l’initiative du travailleur et non de la hiérarchie) qui sont atteints au détriment de la sécurité (les systèmes de sécurité sont suspendus : ils empêchent d’atteindre les cadences voulues). Au bout de quelques années, le constat s’impose : « on ne sait plus où on en est », et le travail a perdu son sens, il n’en a plus, tant il est dissocié dans l’objectivation de sa réalité, dans ses finalités, dans ses rendements, dans ses repérages hiérarchiques et ses discours.
C’est la conquête des humains par l’entreprise, qui s’est substituée aux autres formes d’organisation culturelle. Travailler devient le leitmotiv : « être au travail quitte à souffrir ou faire souffrir les autres ». Cette servitude volontaire est exercée volontairement et avec zèle par chacun. Nous retrouvons les « serviteurs zélés » que Hanna Arendt décrivait, concernant les transports de déportés.
L’inutilité des syndicats devient la conclusion majoritaire : chacun étant enfermé dans sa souffrance ou ses stratégies, il devient impossible de collectiviser ces difficultés : elles ne sont plus que des problèmes individuels, hors de tout collectif. Le fond est alors touché, c’est la solitude et les rapports dans l’entreprise deviennent beaucoup plus violents. Les collectifs étant éclatés, il ne peuvent plus la diluer ni se faire lieu de son expression ; ils ne peuvent plus la modifier. Mais l’entreprise pour se maintenir a besoin des travailleurs, qui utiliseront leur salaire pour acheter : elle ne tient que par la création de besoins nouveaux, qui remplaceront les précédents et continueront à faire tourner la chaîne de production. L’autre face de l’auto-asservissement.
Pour Christophe Dejours, la conclusion s’impose : pris dans ce fonctionnement, c’est « la décadence, l’homme se nie lui-même », une forme d’« auto-esclavagisation ».

L’attente de la reconnaissance du travail bien fait.
La reconnaissance du travail se fait sur deux axes : verticalement (rapport hiérarchique) rapport d’utilité (mon travail est-il utile à la commande de mon supérieur ? ; ton travail est utile) ; horizontalement (rapport entre pairs) rapport de beauté (esthétique) (ai je fait un beau travail ? Oui, c’est du bel ouvrage).

Le bout de ficelle de l’ouvrière qui oeuvre sur la machine à tisser et avec lequel elle règle la machine. Ce bout de ficelle n’est pas dans le manuel de l’ingénieur qui réalisa la machine, ni dans la procudre visée par le supérieur hiérarchique. Ce bout de ficelle est l’inventivité du technicien qui doit pallier au process de travail (et à la démarche qualité) ; ce bout de ficelle condense le plaisir à travailler : là où il faut se creuser les méninges, là où on l’on trouve une utilité à son savoir, son expérience. Mais ce bout de ficelle sera aussi le symbole de la souffrance au travail : le management moderne, qui demande l’application stricte de la démarche qualité, cherchera à abolir ce bout de ficelle, qui n’a pas sa place dans la technique et fera perdre à l’ouvrier le sens de son travail, son utilité (rapport hiérarchique) et sa beauté (rapport entre pairs). Le travail finira par ne plus être intéressant : il ne demande aucun apport du technicien et son sens sera évacué par la qualité moindre qui en ressortira : n’étant plus réglée par le bout de ficelle, la machine sera moins productive.

Avant Christophe Dejours, on travaillait sur le thème de la « psychopatholgie du travail » : « comment le travail rend malade ? ». Le nouveau paradigme de C. Dejours et de l’équipe du laboratoire du CNAM s’écrit : « comment les gens font-ils pour tenir ? » face aux organisation du travail, ce qui devient le thème de la « psychodynamique du travail ». Dans le monde angloaxon, le paradigme actuel est celui du stress au travail, qui utilse des comparaisons avec le monde animal : comme le rat est stressé et utilise des stratégies de contournement du stress, l’humain créera des stratégies similaires. L’homme est assimilé à un animal. Dans l’optique de C. Dejours, qui s’insère dans les sciences humaines subjectives (où la psychanalyse s’inscrit), le point de recherche est la subjectivité de l’individu confronté à des situations de travail, avec lesquelles il cherche à négocier, à s’arranger, mais paye ces arrangements sous forme de symptomes, et de soufrance, qui seront à localiser lors de l’entretien avec le médecin ou le psychologue du travail. Les notions de stress s’inscrivent dans le courant comportementaliste des neurosciences, qui étudient le cerveau à partir des actions qu’il ordonne.
Pour C. Dejours, le travail moderne est à considérer comme un processus d’aliénation, qui est en train de casser le travail et crée l’enfermement dans la solitude.


Notes de ATTAC92Clamart   

 

 

 

 

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