Présentation du "Laboratoire Grenoblois"
Présentation de « Le Laboratoire Grenoblois »
Voici un texte passionnant signé de "Simples Citoyens", daté de mars 2002 et publié par les excellents Pièce et Mains d’Oeuvre (PMO : http://www.piecesetmaindoeuvre.com/ ).
Le discours de la Science s’est installé dans notre société, devenue moderne.
Le discours, c’est ce qui fait lien social, ce qui relie dans la société. Il signe de quelle place une parole est émise, en la réferrant au discours qui la structure. Parmi les discours à notre disposition, il y a le discours du maître, celui qui ordonne, qui commande. Depuis quelques décennies, nous assistons à l’alliance du maître avec le scientifique. S’appuyant sur l’expertise du scientifique, le maître légitime son innovation, fait taire la contestation et ré-oriente à son bénéfice les productions. Le scientifique y gagne d’installer son organisation et de faire avancer un peu plus sa démarche, en la répandant aux quatre coins, sans contestation possible : le maître a ordonné, le scientifique exécute.
A Grenoble, ce nouveau credo se nomme la "liaison recherche-industrie". A cette liaison, il semble que tout lui soit promis. Et donné. On remarquera tout de même qu’elle cache un troisième compère : la grande muette et ses rêves militaires. Grenoble est devenue la réalisation exemplaire, et donc à promouvoir, de la conjonction de ces deux discours.
« Le laboratoire grenoblois », texte qui commence à dater, retrace, à la taille de cette ville, l’histoire de ces alliances : comment l’un et l’autre se sont nourris et enrichis. A la taille d’une ville et avec les financements de tous les échelons étatiques, du municipal au national et européen. On voit l’énergie déployée pour réaliser ce rêve : la Science victorieuse et surtout profitable au capital. Évidemment quelques dépôts de bilan, financés sur deniers publics et autres PPP (Partenariats Publics-Privés, qui créditent le privé par la dette publique) émaillent cette histoire qui n’est pas finie.
Parmi les conséquences locales de ces « nouveaux » fléchages d’argent public, il y la crise immobilière, ici majorée par la volonté d’atractivité économique du territoire : on fait venir des ingénieurs internationaux, au haut pouvoir d’achat Leur fort salaire est justifié pour les attirer, avant qu’il n’aillent chercher et trouver ailleurs : ils sont une réputation de très forte mobilité ! Ils ne restent pas bien longtemps et en partant ailleurs, ils créent une bulle spéculative imobilière supplémentaire.
Les isérois subissent ces mécanismes et cet été nous avons pu constater l’actualité du phénomène : un nouvel épisode s’est écrit dans le quartier, désormais connu de tous, La Villeneuve. Il faut croire qu’avant l’été, tous les avaient oubliés. L’argent public et surtout la municipalité, toute acquise à la Science. Ce qui n’a pas été discuté à cette occasion. Le maire ne permet pas qu’on touche à cela, qu’on le discute. Mais, il se fait le chantre d’une politique de la ville réconciliée avec l’argent et surtout anti-gouvernementalle. Regardez ce que je dénonce et non ce que je cache sous mon tapis de banlieue.
Où l’on comprend l’empressement du maire actuel à se faire entendre dans les medias. Il est expert ès-sécurité et lui sait s’y prendre avec les banlieues, qui flambent. Il n’y a rien à chercher du côté du local ni du côté de la science. Son empressement et sa volonté de conflictualiser avec le gouvernement cachent sa responsabilité et le projet qu’il poursuit. Lui-même est un scientifique, transformé en politique.
Quant au titre : Grenoble est un laboratoire en elle-même : la science y est partout. Grenoble est le laboratoire que beaucoup regardent : il s’y passe l’expérience que d’autres voudraient reproduire. Pour déposer le brevet ? Et empocher les royalties ?
La suite ? Ce sont les nanotechnologies qui colonisent la cuvette. Et c’est un autre texte.
Extraîts sélectionnés (original in extenso)
Ce que l’on voit ici à l’œuvre, c’est un véritable directoire de l’agglomération grenobloise. Ainsi la fusion des pouvoirs politiques, économiques et scientifiques au sein d’un techno- gratin atteint ce degré d’unité et de puissance que "120 présidents d’université, chefs d’entreprises de pointe et directeurs de laboratoires du creuset grenoblois" peuvent en huit mois, décider pour dix ans des investissements massifs et du cap à suivre par une technopole de 420 000 habitants. Et sans jamais feindre de demander l’avis du techno- serf, tant celui-ci compte pour rien et paraît acquis d’avance. Décision efficace : alors qu’en dehors de Beckton-Dickinson, n’existaient à Grenoble que des embryons de biotechnologie, surgissent en quelques années les "jeunes pousses" (Génome Express, Protéin’ Expert, Techno’ Cell), les labos, les recherches croisées, un "pôle de santé" et - bubon sur la plaie - Biopolis. Un projet de "pépinière de jeunes entreprises dédiées aux industries du vivant et de la santé", suivant le principe éprouvé d’investissements publics pour des profits privés. Un ensemble de labos à 6,1 millions d’euros répartis entre la Métro (communauté d’agglo), le Conseil Général et la Région Rhône-Alpes. Dans la cité des techno-rats, tout le monde marche dans la manipe. Max Micoud, le mandarin libéral et immunologiste, insiste pour que la Métro achète le site Ricou à proximité des "espaces de santé que sont les hôpitaux, la faculté de médecine, le Centre de Recherche des Armées, le campus..." afin d’y édifier "un tremplin pour les biotechnologies grenobloises." Et nul ne s’émeut que le Centre de Recherche de l’Armée (le CRSSA) ne figure aux côtés du Commissariat à l’Energie Atomique, du CHU de La Tronche, de l’Inra ou de la Chambre de Commerce et d’Industrie parmi la vingtaine d’institutions associées au projet. Après tout, le génie génétique, ça sert aussi à faire la guerre. A manipuler le génome de la peste, du charbon, de la variole pour les rendre invincibles. Après tout, la chimie locale a pris son essor au siècle dernier, en fabriquant des gaz de combat : il faut être de son temps.
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Voici 30 ans qu’à travers d’innombrables livres, articles et campagnes de pub se propage le "mythe grenoblois", aussi nommé "modèle" ou "laboratoire" grenoblois. Mirage de la technopole à la neige où une population d’Ingénieurs, Techniciens, Cadres, exploitant son inépuisable fonds de matière grise, inventerait un social-futurisme à l’usage de toute le pays, entre sciences fondamentales et applications industrielles, engagement écolo- socialiste et ski le dimanche à Chamrousse.
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Cependant, fort de son expérience d’essaimeur, le député-maire Michel Destot, rédige un rapport et organise un colloque sur "l’Innovation en France", le 12 février 2002 au Palais Bourbon. Innovation : un mot que les spécialistes préfèrent désormais à transfert. L’époque du passage de la recherche (en amont) vers les entreprises (en aval) est en effet plus que jamais révolu. Les travaux se mènent en commun. Et pour que chacun y trouve son compte, "il est important que les laboratoires publics écoutent les besoins du secteur socio-économique, qu’il s’agisse d’industriels ou de sociétés de services", insiste Alain Costes, Directeur de la technologie au Ministère de la Recherche. Las, en dépit de l’augmentation des dépenses de recherche et de développement, les résultats sont décevants constate l’ex-patron de CORYS. Aussi propose-t-il des mesures supplémentaires pour encourager l’innovation. La mise en place d’un crédit d’impôt approprié, la création d’un pôle européen de la recherche, la réorientation des stock- options vers les jeunes sociétés innovantes ou encore le développement du parrainage des jeunes pousses par de grands patrons. "Venu clore ce colloque, le secrétaire d’Etat à l’Industrie Christian Pierret aura au moins rassuré l’élu sur un point. Il a en effet annoncé que le gouvernement consacrerait 300 millions d’euros pour soutenir l’innovation industrielle en 2002. Presque identique aux 295 millions de crédits affichés en 2001, cette enveloppe est néanmoins en hausse de 42,5 % sur 1999."
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1la page sur le site internet de "Pièces et Main d’Oeuvre" est ICI