Article du journal "le Temps" : L’Allemagne a atteint le seuil des 10% d’énergie renouvelable
Energie verte : les leçons allemande et chinoise
Pierre Veya journal Le Temps du 26 03 2010
Le chiffre est plus que symbolique. Pour la première fois, plus de 10% de l’énergie consommée par l’Allemagne provient des énergies renouvelables
Le chiffre est plus que symbolique. Pour la première fois, plus de 10% de l’énergie consommée par l’Allemagne provient des énergies renouvelables. Dans un système énergétique, on considère que 10% constituent un seuil économique à partir duquel une filière acquiert sa maturité et a un impact très important sur l’approvisionnement énergétique d’un pays. Pour l’Allemagne, et pour bien d’autres régions d’Europe, c’est la démonstration qu’une lente mais inexorable transformation du système énergétique est en marche. Car plus aucun acteur ne peut ignorer l’enjeu. L’Allemagne vise désormais 50% d’énergies vertes en 2050, un niveau ambitieux mais réaliste. En termes d’emplois, le saut est tout aussi remarquable. La branche des énergies vertes renouvelables emploie aujourd’hui 300 000 personnes, soit deux fois plus qu’en 2004 ! Et tout montre que, dans dix ans, ces emplois seront plus nombreux que ceux liés à l’industrie automobile.
Au plan mondial, l’accélération est tout aussi spectaculaire. New Energy Finance, qui fait autorité en matière d’investissements dans les technologies propres, les « clean tech », a revu à la hausse les investissements consentis en 2009 (162 milliards de dollars) alors même que l’on s’attendait à une baisse très importante en raison de la crise économique et du durcissement des conditions de crédit. Mais c’était oublier les plans de relance chinois et sud-coréen qui ont plus que compensé le gel des projets en Europe et aux Etats-Unis. Selon les dernières prévisions, la part de la capacité électrique installée dans les énergies vertes devrait grimper à 22% en 2020, contre 13% actuellement, et atteindre 31% en 2030. A ce rythme, les nouvelles énergies vertes auront définitivement distancé le nucléaire, du moins la technologie de 3e génération. Selon le consultant californien Clean Edge, le nombre d’emplois générés dans le monde par le solaire et l’éolien d’ici à 2019 passera de 830 000 emplois à plus de 3,3 millions. Fait majeur, la Chine est, en 2010, devenue le leader mondial incontesté des investissements dans les technologies vertes. Non seulement la Chine est le pays qui assure la plus grande croissance de l’éolien et du solaire, mais en plus elle dispose d’une base technologique et industrielle qui lui permet de s’affranchir des transferts technologiques. Selon une enquête récente de Thomson Reuters, la Chine a investi plus que toute autre nation dans la recherche et le développement et talonne de près les Etats-Unis en termes de brevets et connaissances. Selon Clean Edge, il est toutefois prématuré de considérer la Chine comme le nouvel empire des technologies propres. Ses avantages concurrentiels (bas salaires, taux de change favorable, politique d’investissements agressive, etc.) demeurent fragiles, et nombre de problèmes environnementaux sont loin d’être résolus. Par ailleurs, les « vieux » pays disposent d’atouts non négligeables, en particulier l’Allemagne, les pays nordiques et l’Espagne, sans oublier bien évidemment les Etats-Unis et leur formidable sens des opportunités commerciales.
Si le résultat de la Conférence de Copenhague est un échec amer pour les investisseurs, tout indique que les citoyens et consommateurs valoriseront de plus en plus les énergies propres, en dépit des problèmes de coûts supplémentaires qu’ils devront accepter. On assistera bel et bien à une formidable transition vers une économie pauvre en carbone qui ira en s’accélérant, même si les phases en creux seront encore nombreuses. Les grands groupes industriels, déçus des tergiversations politiques internationales, vont certes réexaminer leur stratégie mais tout indique qu’ils sont conscients des avantages concurrentiels qu’ils peuvent tirer des technologies propres. Plus surprenant peut-être, le CO2 assimilé jusqu’ici à un polluant de l’atmosphère dont il faut se débarrasser devient une nouvelle matière première à valoriser. A titre d’exemple, tous les grands cimentiers envisagent de séquestrer le CO2 pour l’utiliser comme catalyseur de produits en remplacement de ressources fossiles.
La vision stratégique du ministre de l’Energie américain, Steven Chu, qui a toujours refusé de considérer les graves questions posées par le changement climatique en termes de coûts mais bien davantage comme autant d’opportunités, gagne peu à peu son pari. Il a mis en place une stratégie d’innovations dans les énergies qui brise les fronts antagonistes entre ceux qui pensent qu’une taxation du carbone détruira l’industrie américaine et le camp opposé, qui y voit l’occasion unique de stimuler une économie dont l’addiction aux ressources fossiles est dangereuse et à terme pénalisante.
C’est peut-être une leçon à retenir pour l’Europe et la Suisse : un cadre légal favorable aux énergies propres est sans doute nécessaire mais pas suffisant. Les Etats-Unis ont relancé l’innovation ; l’Europe et la Suisse disposent des instruments légaux pour soutenir l’entrée sur le marché des énergies vertes, mais elles tardent à financer plus résolument la recherche ; à l’inverse, la Chine pratique les deux à la fois : elle n’hésite pas à soutenir massivement les énergies vertes et accroît chaque jour davantage ses efforts de recherche.
En raison de ses nouvelles fonctions à la rédaction en chef du « Temps », la chronique hebdomadaire de Pierre Veya sera interrompue en avril et reprendra sous une nouvelle forme, qui sera communiquée en mai prochain.